Poutine forever
Cette semaine, on parle de vacances, de rentrée, de vie éternelle et d'une intelligence artificielle un peu gênante.
Eh bien, quel été ! Il y a une règle quand on est correspondant en Russie qui consiste à ne pas partir en août, le mois des actus surprises. Sur cette question, mon plus grand souvenir c’est lorsque Alexeï Navalny a été empoisonné en août 2020. Moscou était tellement dépeuplée que je m’étais retrouvé à faire l’ouverture du 20 h de France 2 en direct. On ne fait pas ça tous les jours.
Vous êtes toujours plus nombreux à lire ma newsletter et ça m’encourage à continuer de suivre au plus près cette actu russe.
Tout ça pour dire que dans un élan de rébellion, je me suis autorisé à prendre des vacances ces dernières semaines, contre vents et marées. Il faut dire qu’après avoir passé des jours et des jours à commenter les ultimatums de Donald Trump que l’on devinait bidons, je ne m’attendais pas à ce que le président Poutine aille jusqu’à accepter de le rencontrer juste pour les faire sauter.
C’est au moins le signe que Vladimir Poutine craignait vraiment ces sanctions et qu’il compte bien profiter, d’une façon ou d’une autre, de Donald Trump pour imposer ses interêts.
Je pense que vous avez déjà lu tout (et peut-être n’importe quoi) sur cette rencontre, je vais vous épargner mon analyse. A mon retour, j’ai pris un peu de temps pour réfléchir à l’étape suivante dans la Libre Belgique, je parle de cette rencontre Poutine - Zelensky que tout le monde fantasme. La chose me parait improbable mais si elle permet à Vladimir Poutine d’éviter de faire la paix, rien n’est impossible… (Merci à moi d’être venu).
Et puis il y a eu la séquence chinoise, avec ce moment hallucinant d’un Poutine qui déballe au président chinois son fantasme de la vie éternelle. C’est un vrai sujet pour le président russe, qui, je le pense, est convaincu qu’il est le seul à pouvoir diriger le pays. Cette conviction représente une angoisse pour lui parce que l’histoire qu’il veut imprimer à jamais dépendra en grande partie de sa capacité à créer un système qui ne sombrera pas à sa mort. Et pour l’instant, la chose n’est pas si évidente que cela.
Soit dit en passant, le sujet est réel. Le président russe a une fille, Maria Vorontsova, qui est endocrinologue et membre du Conseil pour le développement des technologies génétiques. Elle travaille avec un autre proche du président, Mikhail Kovalchuk, à s’enrichir mais aussi à superviser un programme de recherche génétique sur la prolongation de la vie. La rumeur de recherches qui auraient précisément pour but de permettre à Vladimir Poutine de rester en vie existe depuis quelques années. L’année dernière, le Moscow Times affirmait citer une source au sein du Kremlin : « Kovalchuk est obsédé par la vie éternelle... et il s’est présenté au président avec cette idée ».
Revenons sur terre en rappelant que l’espérance de vie d’un homme russe est de 67 ans (soit l’équivalent d’une demie vie fantasmée de Poutine).
Je ne m’étalerai pas non plus sur cette rencontre dans le cadre de l’Organisation de Coopération de Shanghai, qui a donné l’occasion de “belles images” de propagande par l’axe du mal, images en grande partie destinées à envoyer balader Donald Trump et ses menaces de sanctions. Dans les faits, cette organisation qui doit œuvrer pour la sécurité de l’Asie ne regroupe pas des “amis pour la vie” et leur rencontre serait certainement passée inaperçu dans un autre contexte.
Qu’attendre des semaines à venir ?
Eh bien Donald Trump semblait partant pour se contenter d’un cessez-le-feu et d’une photo de famille pour ensuite pouvoir lâcher l’affaire ukrainienne en winner. Mais les Européens ont tout compliqué avec leurs satanées garanties de sécurité. Et Poutine, il est vrai, aime prendre son temps. Parce qu’il compte profiter de la période pour continuer d’avancer en Ukraine mais aussi, plus simplement, parce qu’il aime bien rappeler aux démocraties que de n’avoir qu’une vision qui fait le temps d’un mandat c’est vraiment trop bête quand on peut avoir une vision à vie pour son pays. Vladimir Poutine a toute la vie devant lui pour reconstituer un empire, d’autant plus qu’il compte visiblement devenir immortel, sacré programme.
Point à suivre : les Européens touchent une corde sensible en passant leur temps à chercher, maintenant avec Donald Trump, une solution pour surveiller un éventuel cessez-le-feu, et le rendre ainsi, permanent.
Vous remarquerez que la Russie ne propose rien sur ce sujet, c’est simple : elle ne laissera jamais le moindre soldat étranger contrôler SON cessez-le-feu, celui qu’elle pourra briser à l’envi dans le futur, pour continuer ses conquêtes impérialistes.
Il est intéressant de voir les Européens se mettre d’accord sur des forces d’interposition alors que s’il n’y avait pas la guerre, ce seul principe aurait représenté une raison pour le Kremlin de lancer son offensive sur l’Ukraine. Car quoi qu’il arrive, l’Ukraine est l’étranger proche de Vladimir Poutine, qui ne laissera personne s’y balader.
Pour revenir sur cette question, j’ai fait un point pour la Libre Belgique sur les vacances de Vladimir Poutine, de 1999 à aujourd’hui. Si on se rappelle bien de ses séjours sur la côte d’Azur, encore mieux, de ses balades interminables dans la Taïga avec son ancien ministre de la Défense Sergueï Shoïgou, le président russe semble aujourd’hui, se faire particulièrement discret sur ses temps de repos. Par peur des attaques ou tout simplement pour donner l’image d’un homme entièrement dévoué à son pays ?
Vladimir Poutine a bien pris du bon temps en Alaska, mais ça, ça ne compte pas. Le seul créneau que j’ai repéré, c’est lorsqu’il s’est rendu à Saint-Pétersbourg, fin juillet, pour rendre hommage à sa marine. J’en parlais dans la lettre précédente puisque j’y étais. Eh bien le président russe a ensuite traîné dans la région, il est allé en Carélie, jusqu’au monastère de Vaalam sur le lac Ladoga. De nos jours, c’est le dictateur Biélorusse, Alexander Loukachenko, qui l’accompagne pour lui tenir le crachoir. Ce sont à ma connaissance ses seules vacances de l’été.
Pour l’anecdote, le président évite désormais Sotchi, qu’il adorait par le passé. Il y avait même installé une copie de son bureau moscovite. Pour une raison que j’ignore, il a fait détruire une partie du palais présidentiel de la ville et ne s’y rend plus. La légende (ukrainienne) dit que c’est par peur des drones. C’est d’autant plus possible que son grand palais au chantier interminable équipé d’une “aquadiscothèque” (le clip de ce lien, passible de prison ferme en Russie, a disparu du web) de Guelendjik a été visé par un drone ukrainien durant l’été.
Pendant ce temps-là, la population a dû se mettre au vélo.
Des pénuries d’essence se sont multipliées dans tout le pays cet été et ce n’est pas rien. Je ne suis pas sûr que l’on puisse pousser les Russes à se révolter pour autre chose que pour leur frigo mais les prix ne cessent d’augmenter et les pénuries massives d’Extrême-Orient ont atteint la banlieue de Moscou il y a quelques jours. Ce média local s’en fait l’écho d’une façon assez amusante puisque ces pénuries sont en grande partie dues aux nombreuses frappes ukrainiennes sur les dépôts pétroliers du pays :
“Les experts expliquent ces pénuries par des réparations massives de raffineries de pétrole”.
Rien à voir mais je me dois de vous signaler un événement dans la politique nationale russe, et comme ça n’arrive pas tous les jours, parlons-en.
Vous connaissez certainement “Shaman”, le chanteur crypto-fasciste de Poutine, essentiellement connu pour ses blousons en cuir, son style “années 30 à Berlin” et sa chanson “Je suis russe”. Il forme depuis peu un couple avec la délatrice du Kremlin, Ekaterina Mizoulina. La semaine dernière, pour son anniversaire, il lui a offert… Un parti politique appelé “Мы”, “Nous”. Personne ne sait encore si ce parti a été officiellement enregistré par les autorités mais cette annonce au premier abord inexplicable, a un petit goût de déjà-vu.
Car le saviez-vous ? La Russie sera appelée aux urnes le 14 septembre prochain. Et les Russes ne le savent pas non plus. Le pays devra pourtant élire des gouverneurs et des élus locaux. Alors les technocrates du Kremlin perpétuent la tradition des “partis surprise”, à ne pas confondre avec les Kinder Surprise.
L’avantage est triple :
Ces partis permettent de faire un état des lieux de l’état d’esprit de la population
Ils permettent de rappeler, notamment par l’usage de célébrités, l’existence de ces votes et de créer un enthousiasme à la base totalement inexistant.
Enfin, ils permettent de diluer les votes, d’en piquer un petit peu aux communistes, un peu aux nationalistes de LDPR…
Cette fois-ci, il y a même une quatrième explication. Le couple de l’année pourrait former le parti de la guerre, ce parti qui attirera les patriotes et qui saura les canaliser si, par malheur, la Russie se voyait contrainte à la paix. La ligne politique sera certainement un mix entre celle du Kremlin et celle des nationalistes va-t-en-guerre.
Il va sans dire que la popularité de ce parti sera sous contrôle total des autorités.
“Il s'agit en quelque sorte de la création d'un parti pro-nazi, un parti du fascisme russe” explique dans cet article de “Current time” Evgueni Domojirov, ancien député russe aujourd’hui en exil.
En parlant de fachos, une partie de la population russe semble effectivement être mûre. Les autorités ouzbèkes ont demandé à la Russie d’enquêter (elle ne l’aurait pas fait d’elle-même), pour retrouver cet homme de Khimki (banlieue de Moscou), qui est apparu dans une vidéo en train de hurler :
“Tu es un esclave, un esclave des Russes. Tu n’as rien trouvé en Ouzbékistan alors tu es venu ici. Tu n’es pas chez toi ici, tu es venu que pour le travail”.
Sur la vidéo, on voit le chauffeur de taxi garder son calme face aux aboiements…
Pour finir sur une touche particulièrement “creepy”, je me dois de vous faire part de ce phénomène étonnant qui se développe en Russie. Des internautes proposent contre l’équivalent d’une vingtaine d’euros, de faire une vidéo par intelligence artificielle de leur proche mort au combat en route vers le paradis. La vidéo coûte plus cher si l’homme doit apparaître en train d’embrasser une dernière fois ses proches, et encore plus cher si une imitation de sa voix est demandée…
Je ne sais pas vous, mais ces vidéos me mettent profondément mal à l’aise.
Je vous donne rendez-vous la semaine prochaine pour de nouvelles aventures !








Effectivement cringy à shouhait la vidéo de la fin - et tellement russe en même temps !
À croire qu'il y a un déterminisme quelconque qui les attire vers le tragico-épique kitsch (sigh).
Pour l'immortalité, c'est quand même flippant. La mort reste la seule chose certaine pour tout le monde, qui que l'on soit. C'est même la seule pensée consolatrice que j'ai quand je pense à Poutine et d'autres : "au moins, ils finiront comme nous".
Le jour où les riches dictateurs auront un sérum qui leur permet de vivre encore plus lgtps, on passera au stade désespérant.
Ce qui serait drôle, c'est si Poutine, avant de casse sa pipe, mettait au pouvoir un de ses sosies marionnettes avec contrôle par un cercle de fidèles derrière. Au fait, sait-on s'il utilise des sosies ?
Un retour très en forme Paul, merci!